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La crise étudiante : quelques conseils d’un vieil universitaire


La crise étudiante : quelques conseils d’un vieil universitaire
par Pierre Calvé

Pour avoir étudié pendant 20 ans et avoir fait carrière en tant qu’universitaire pendant 32 ans, je crois que mon grain de sel dans le présent débat vaut bien celui d’un étudiant, d’un professeur ou d’un syndicaliste. Voici donc quelques conseils que je donnerais aux divers intervenants :

À M. Charest et Mme Beauchamp :
Expliquez-vous donc. Pourquoi ce mutisme entêté alors que les étudiants sont tout à fait capables de comprendre, sinon d’accepter les véritables motifs qui ont poussé votre gouvernement à décréter, sans doute après mure réflexion, après un minutieux examen de toutes vos options, cette hausse des frais de scolarité? Pourquoi, comme dans le cas de la commission d’enquête sur la construction, attendre que la situation ne s’envenime, que les positions se campent, que toutes sortes d’autres facteurs, d’autres intervenants, d’autres causes viennent brouiller les cartes et créer une crise qui gonfle en se nourrissant elle-même de tous les débordements, injonctions, échéances, mises en demeure…?

Aux syndicalistes intervenants
Cessez de vous approprier cette cause pour faire valoir les vôtres. Les étudiants ne sont pas en grève.  Ils boycottent leurs cours. Ils mettent en danger l’année scolaire de tous ceux qui ne peuvent se permettre un tel luxe. Ils ne sont à l’emploi ni du gouvernement ni des universités. Ils profitent de services qu’aucun autre pays, aucune autre province, plus riche ou plus pauvre, ne peut offrir à faible coût sans sacrifier la qualité, la crédibilité même de ces services. Si un gouvernement démocratiquement élu décide, après plusieurs autres tentatives avortées au cours des 40 dernières années à cause de semblables boycottages, que l’état ne peut plus se permettre d’absorber les coûts de l’éducation supérieure sans une plus grande participation des bénéficiaires, ce n’est pas à vous de vous joindre à un combat qui n’est pas le vôtre et dont vous ne connaissez ni les tenants ni les aboutissants.

Aux professeurs favorables au gel
Seriez-vous prêts à rouvrir vos conventions collectives et accepter de sacrifier une partie de votre salaire afin de participer à la noble cause d’une éducation supérieure à faible coût, pour ne pas dire au rabais, pour tous ces étudiants dont vous appuyez la cause? Ignorez-vous que le Québec, avec une population qui compte à peine 75% de celle de l’agglomération parisienne (qui compte plus de 12 millions d’habitants), doit entretenir un réseau de 17 universités (incluant les écoles de hautes études comme l’École polytechnique) et 48 CÉGEPS? Comment croyez-vous que les universités peuvent attirer les meilleurs professeurs, qui à leur tour attireront les meilleures subventions, sans leur offrir les équipements, bibliothèques, laboratoires, salles de cours qui seront à la fine pointe du progrès et permettront à vos institutions de se comparer favorablement aux meilleures plutôt que devenir de grands collèges anonymes, leaders en rien, comme il en pullule dans le monde sans que jamais on n’entende parler de leur réputation ou de leurs réalisations. En tant que doyen d’une faculté, j’ai eu à gérer un budget, et comme vous le savez sans doute, c’est là l’art du possible, du grattage de fonds de tiroirs, et ceux qui gaspillent auront vite affaire… à vous!

Aux étudiants contestataires
Retournez à vos cours. Sauvez votre session. Vous risquez de perdre, et de faire perdre à d’autres, beaucoup plus que ce que vous essayez de gagner par votre entêtement. Vous ne ferez pas plier le gouvernement. Pas cette fois. Des élections s’en viennent et vous pourrez démocratiquement faire valoir votre cause et tenter de défaire, mais pas tout seuls, pas dans l’anarchie, celui et ceux que vous tenez responsables de vos déboires. Et comprenez que ce n’est pas en grignotant ici et là dans les salaires de quelques-uns, dans le gaspillage de quelques autres, que le Québec pourra continuer à vous assurer, ainsi qu’à vos enfants, une éducation supérieure digne de ce nom. Le gel des frais de scolarité a été une décision politique, non réaliste financièrement, et des correctifs s’imposent, malheureusement à court terme. La dette du Québec s’approche du 200 000 000 000 $, et continue de croître. La population vieillit,  le nombre de travailleurs diminue proportionnellement aux retraités, les demandes en soin de santé augmentent de façon exponentielle… Comment pouvez-vous justifier une telle demande de gel, voire de gratuité, pour un service dont vous êtes (par l’éducation que vous recevez) et dont vous serez (par ce qu’elle vous rapportera) les grands bénéficiaires?

Personnellement, j’ai dû assumer à peu près seul (sans l’aide de mes parents) le coût de mes  études collégiales et universitaires. J’avais tout juste de quoi survivre grâce aux emplois d’été (dont six dans les chantiers en tant que draveur et bûcheron), à de multiples travaux à temps partiel et à deux années de sabbatique, où j’ai pu ramasser assez d’argent pour compléter une maîtrise et un doctorat dans l’une des universités les plus prestigieuses aux États-Unis. Et pourtant j’étais heureux parce que j’avais le feu sacré et que je me trouvais extrêmement chanceux de pouvoir, malgré tous les sacrifices que j’ai dû faire, acquérir une telle éducation. Et la profession que j’ai eu le privilège et le bonheur d’exercer grâce à ces études a été ma plus grande récompense. Tout à un coût et croyez-moi, celui-ci en vaut le coup.