La parole au prof |
Vague impression d’avoir fait le tour du jardin. La hausse, les manifs, le règlement anti-masques, la Loi 78, ses conséquences, les casseroles, re-Loi 78. Bientôt trois mois. Existe-t-il un autre truc en ce moment ? Oui, une multitude. Notamment du côté d’Ottawa. Pendant que Jean pleure, Stephen rigole : le Jubilé de la reine et (surtout) ses coûts afférents, Loi C-38, réformes majeures en matière d’immigration et d’assurance-emploi. Ce qui devrait normalement provoquer une certaine résistance politico-médiatique dans la Belle province, passe actuellement inaperçu. Ou presque.
Un peu normal, remarquons bien. Ce qui se dessinait a priori comme un conflit classique de nature corporatiste entre étudiants et gouvernement, s’est graduellement transformé, jusqu’à un certain point, en crise sociétale. Qui parle encore de l’accessibilité universitaire, à vrai dire ? Une belle macédoine contestataire : manifs contre la hausse; manifs contre les conséquences des manifs (78 et le règlement municipal anti-masques); manifs contre le gouvernement Charest, manifs contre Charest lui-même, manifs pour le droit aux manifs, tutti quanti.
S’ajoutent à ceci les griefs récents contre le Grand Prix, les tapis rouges (ne pas confondre avec le carré), les grosses poches, le capitalisme, probablement les REER aussi, un coup parti. « Libérez les pitounes ! », auraient même scandé des manifestants. Quand je vous dis qu’on s’éloigne du débat sur la hausse…
Alors devant cette dynamique maintenant sibylline, quoi retenir ? Pas grand-chose, je présume. Sauf peut-être l’élément suivant : la réapparition de l’expression « désobéissance civile » à même les mots de la rue. « Quand l’injustice devient loi, la résistance est un devoir », a-t-on lu récemment sur un écriteau plaqué sur la maison des Khadir, chef spirituel des désobéissants assumés ou purs wannabe.
Paraphrasant Thomas Jefferson(1), le slogan dicte le refus de se soumettre à toute action étatique jugée inique par ceux qui la contestent. Romantisme politique ? Clair. Antidote à l’apathie ambiante ? Peut-être. Bombe à retardement pour la démocratie et l’État de droit ? Absolument.
À vrai dire, toute société démocratique qui se respecte ne peut s’affranchir des postulats juridiques sur lesquels elle se fonde. La désobéissance civile va, par définition, parfaitement à l’encontre de cette règle autant élémentaire que fondamentale.
D’abord, l’une des prémisses fondamentales de l’État de droit tient à ceci : éliminer, en théorie, l’arbitraire. Or, toute forme de désobéissance civile encourage exactement le contraire, c’est-à-dire la création d’un régime parallèle discrétionnaire aux paramètres imprécis, comme en témoigne d’ailleurs le flou artistique relatif aux revendications actuelles.
Ensuite, la légitimité démocratique. Ne leur en déplaise, rien ne permet de conclure au caractère représentatif des tenants de la désobéissance civile. Ceux-ci ne possèdent, en vertu du contrat social, aucune légitimité. On pourra répondre que l’actuel gouvernement a perdu la sienne depuis longtemps. Possible. Que faire, le cas échéant ? Combattre une illégitimité par une autre ? Non. Il existe en fait une alternative simple et efficace : des élections.
On me répondra que la démocratie est un concept plus riche que ses élections aux quatre ans. Vrai. De là les bienfaits de la manifestation pacifique et autres modes d’expressions protégés par les Chartes. Dans le respect de la loi, cela dit.
Et si la loi est inique et/ou inconstitutionnelle, que fait-on ? On la conteste devant la branche du pouvoir visant à contrôler la légalité des diverses actions étatiques applicables, soit les tribunaux. Si nos prétentions sont justes, les probabilités seront à l’effet que la loi décriée sera éventuellement invalidée. Voilà tout (2).
Complexe et fastidieux, le processus judiciaire visant à rendre une loi inconstitutionnelle ? Bien sûr. Mais je le préfère, et de loin, à un système où quiconque s’improvise législateur ou s’arroge une légitimité pourtant inexistante. Un système où l’individu détermine lui-même l’applicabilité de la loi et, dans certains cas, de se faire justice. Un système où les crimes de droit commun amènent leurs fautifs à se prétendre prisonniers politiques, voire idéologiques. Un système où quiconque se proclame émule de Ghandi ou Luther King en s’incarnant d’une mission quasi-divine de résistance à loi, le tout en faisant fallacieusement fi des contextes sociétaux combien différents dans lesquels vécurent ses maîtres à penser.
En bref, malgré ses allures romanesques, la désobéissance civile a de quoi faire craindre les fondements mêmes de la démocratie et de l’État de droit. Un peu à l’instar des sables mouvants, on en connaît les débuts, mais rarement la fin.
(1) « Quand l’injustice devient loi, la rébellion devient devoir», a jadis affirmé Jefferson. Le concept fut ensuite popularisé par l’Américain Henry David Thoreau dans son essai "Résistance au gouvernement civil", publié en 1849.
(2) Ce qui précède dénote-t-il une volte-face de ma part sur la pertinence et validité de la Loi 78 ? Aucunement. Plutôt le contraire. En fait, les récents événements factuels ajoutent, à mon sens, aux écueils théoriques déjà présents dans la loi. Pensons notamment à l’incapacité des corps policiers à en assurer le respect, ceci étant provoqué à la fois par le caractère imprécis, abusif ou purement amateur de ladite loi : le coup de matraque dans l'eau.
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