Publié le 11 juin 2012
Stéphane Laporte, collaboration spéciale |
Jeudi soir, c'est le début du week-end du Grand Prix du Canada. On craint le pire. La CLASSE et la CLAC ont menacé de casser le party. La «manufestation» bat son plein. Des milliers de gens dévêtus arpentent le centre-ville. LCN couvre ça, en long et en large.
Paul Larocque, bien habillé, en studio, demande à son reporter sur les lieux d'interroger des manifestants. Le micro à la main, l'envoyé s'approche de trois gars complètement nus. Trois carrés rouges, le rectangle blanc poilu à l'air. Le journaliste leur demande comment se passe la protestation. Le moins gâté par la nature des trois répond que la police les empêche d'aller sur Crescent, alors ils tournent en rond. L'entrevue se poursuit comme s'ils étaient en Kanuk. Aucune allusion à leur tenue légère. Il y a trois pénis en ondes à LCN à 20h et personne ne s'en émeut. La bite ne fait pas le moine. On écoute leurs propos revendicateurs et on les regarde dans les yeux. Autour d'eux, il y a quelques seins tropez qui traversent l'image dans l'indifférence générale.
Il faut se rendre à l'évidence, le nu ne choque plus. Peut-être à Toronto, peut-être à Calgary, mais à Montréal, le nu, on en est revenu. Il y en a partout: dans les spectacles de danse, dans les galas Juste pour rire de Jean-François Mercier, dans les campagnes de Centraide. Frontal, dorsal, dans tous les sens, on a tout vu.
Si le but de la «manufestation» est de scandaliser l'ordre établi, c'est peine perdue. Les policiers ont la banane quand ils voient défiler devant eux des Adam et des Ève. La soirée va être facile. Les affrontements ne seront pas à matraque égale. Les étudiants deviennent beaucoup trop vulnérables. Fallait voir les naturistes tenter de se faufiler sur la rue Peel et rebrousser chemin devant une cohorte de flics en armure. Ils retournaient dans leur espace, la queue entre les jambes. Je sais, elle est facile, mais l'idée de provoquer avec la nudité aussi.
Enlever ses vêtements, c'est bon enfant, c'est festif, c'est collégien, ce n'est surtout pas un geste de provocation extrême. Ça dérangeait dans le temps des hippies. Mais aujourd'hui, c'est anachronique. On dirait les coureurs des bois de Capitol One s'achetant des bâtons de hockey. Le nu n'est plus déplacé. Mais il est facilement déplaçable, alors les policiers en profitent.
Les organisateurs souhaitaient peut-être ébranler les touristes venus assister au Grand Prix. Mais la plupart de ces touristes, ne connaissant de Montréal que le club Chez Parée, s'imaginent que tous les frenchies, marchant dans les rues, le sexe au vent, sont des danseurs et des danseuses nues, en retard au travail. Les Américains se régalent et prennent des photos allègrement. Ah la la Montréal, ville ouverte! Enfin des images qui risquent d'attirer des étrangers chez nous.
D'ailleurs, je me demande si les étudiants se promenant dans le plus simple appareil réalisent qu'ils offrent leurs corps en pâture à tous ces appareils cellulaires qui les immortalisent sur Facebook.
Tout le monde n'est pas Spencer Tunik pour sublimer la nudité avec un cliché. Quand ces jeunes seront juges ou députés, leurs parties intimes filtrées par Instagram, risquent de venir les hanter.
Quoique dans 10 ans, le nu risque d'être complètement démodé, puisque tous les badauds auront twitté tous leurs petits bouts. La communauté planétaire au grand complet se sera exhibée au grand complet, aussi. On ne serait même pas surpris, si bientôt, sur les photos de passeport, non seulement, on ne devra pas sourire, mais on devra être complètement à poil, question d'être raccord avec la photo prise par le scanneur quand on passe la barrière. La nudité, c'est la sécurité. La nudité, c'est la conformité.
La nudité ne porte plus à gauche, la nudité porte à droite.
Le nu intégral est devenu banal, pas juste pour les manifestations, partout. Au cinéma, au théâtre, dans la pub, on ne le remarque plus. Il y en a plein l'internet, alors ce n'est pas un peu de peau de plus ou de moins qui va nous faire tomber des nues.
Et c'est très bien et très sain ainsi. Il était temps qu'on en revienne de la nudité. Nous sommes tous des tout-nus. Comme le chante Damien Robitaille, on est né nu. Une paire de fesses, c'est une paire de fesses. Dans l'intimité, ça peut exciter. En public, ça devient burlesque.
Cela dit, avec la canicule qui approche, il n'y a pas que les manifestants qui vont déambuler dans la métropole dévêtus, le festival de la bedaine ne fait que commencer. Ce sont les policiers, habillés en Robocop, qui seront le plus à plaindre
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