Le slogan « La paix pour le Liban, maintenant » ne constitue pas un « pari » qui serait susceptible d'être abandonné au cas où les circonstances ne s'y prêteraient pas. Il ne s'agit pas non plus d'une « offre » adressée à l'autre camp, celui de la « guerre permanente ». Il s'agit d'un choix auquel nous resterons attachés dans tous les cas de figure, car il est la condition de survie du modèle de société que nous avons choisi, une société où nous pourrions « vivre ensemble, égaux et différents ».
Pouvons-nous briser ce cycle de violence qui menace notre avenir ?
Oui, nous le pouvons !
Pourquoi la paix au Liban maintenant ?
- Parce que seule la paix peut protéger le Liban d'une récession économique en raison des crises qui secouent le monde et qui commencent à se répercuter négativement sur nos jeunes actifs à l'étranger. La paix est aussi une condition nécessaire pour assurer le développement économique et social de notre pays, et lui permettre d'entrer de plain-pied dans la mondialisation en développant son capital humain, qui est sa principale source de richesse, et en utilisant cet extraordinaire réseau que représente l'émigration libanaise dans le monde.
- Parce que la paix et la stabilité sont une condition pour réformer notre État et le libérer des dissensions confessionnelles qui bloquent sa dynamique, et du clientélisme communautaire qui corrompt son action. Ils sont également une condition pour donner à la justice, dont l'avènement approche avec le tribunal international, sa pleine dimension, en réhabilitant l'idée de la loi qui est au fondement de toute vie en société. Ils sont également une condition pour l'édification d'un État civil garantissant aux citoyens, sans distinction aucune, des droits égaux et des chances égales d'accéder à ces droits.
- Parce que la paix est le moyen de construire une société où l'individu n'est plus réduit à sa seule dimension communautaire, amputé de toutes ses autres appartenances qui font sa richesse, où la religion n'est plus détournée de sa fonction essentielle qui est d'apprendre aux hommes à vivre en paix pour être instrumentalisée à des fins politiques et guerrières, où le citoyen peut choisir de n'être plus régi par un statut personnel religieux, mais civil, où la femme n'est plus victime de mesures discriminatoires, où la justice ne fait pas de distinction entre gouvernants et gouvernés, où le respect de l'être humain est le même pour les nantis comme pour les démunis, où les lois qui régissent les libertés individuelles ne portent pas atteinte à la liberté de la personne, où le respect de soi commence par le respect de la nature.
- Parce que la paix permet d'entreprendre un travail de mémoire pour tirer les leçons de la guerre, nous réconcilier avec nous-mêmes et avec les autres et être ainsi en mesure d'aborder sereinement notre avenir commun.
- Parce que la paix est une condition nécessaire pour réhabiliter le modèle libanais dont la richesse ne provient pas de la simple « juxtaposition » en son sein de communautés différentes qui y cohabitent, mais du « vivre ensemble » qui lie ces communautés entre elles, et qui fait de la société libanaise une niche écologique exceptionnelle à un moment où la question du « vivre ensemble » est devenue, en raison même des changements induits par la mondialisation, un défi majeur pour l'ensemble de l'humanité.
- Parce que la paix permanente et globale est le contexte adéquat pour renouveler le rôle du Liban dans son environnement arabe et dans le monde : en promouvant une voie arabe vers la modernité et en participant à la création d'un nouvel ordre régional arabe, moderne et ouvert sur le monde ; en soutenant les orientations réformatrices dans la région pour barrer la route aux dangers des guerres civiles qui guettent plus d'un pays arabe ; et en contribuant aux efforts en cours pour refaire de la Méditerranée, qui a été la mer de toutes les fractures, une zone de convivialité et de rapprochement entre les peuples qui bordent ses rives et les cultures auxquelles ils se rattachent.
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Comment consolider l'option de la paix au Liban ?
Nous pouvons adopter une multitude de mesures, parmi lesquelles :
1 - Œuvrer à faire des prochaines élections législatives un véritable référendum sur la paix au Liban. Les élections ne doivent plus être perçues comme une simple occasion visant à déterminer le poids des notabilités locales et des partis politiques. Il s'agit d'élections charnières qui décideront de l'avenir du Liban pour un long moment.
2 - Prendre des initiatives pour traduire le slogan de la paix dans chaque région libanaise où les séquelles de la guerre et les retombées des conflits familiaux, confessionnels et sectaires continuent de régir les choix des citoyens et les empêchent de s'unir dans la bataille en cours pour sauver leur patrie.
3 - Initier un dialogue à l'intérieur des groupes communautaires pour mettre fin à ce cycle de violences qui les conduit à rechercher des appuis extérieurs et assurer le retour de tous dans le giron de la légalité libanaise.
4 - Inciter les forces qui participent au dialogue national à mettre en application la résolution 1701, ainsi que la résolution qu'elles ont elles-mêmes adoptée concernant le règlement de la question des bases palestiniennes hors des camps.
5 - Établir un contact permanent avec l'émigration libanaise pour promouvoir et soutenir la paix au Liban.
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Pourquoi lier l'appel à Beyrouth ? Parce que cette ville, riche d'une diversité humaine exceptionnelle, a longtemps été un des symboles du vivre ensemble avant de devenir le théâtre de toutes les folies et de toutes les ruptures et le premier modèle des guerres à venir dans le monde après la fin de la guerre froide.
C'est en effet à Beyrouth en 1975 avec la destruction du centre-ville que la rupture est consommée entre les Libanais et que, de part et d'autre de la ligne de démarcation qui sépare les deux Beyrouth, véritable mur de Berlin du Moyen-Orient, commencent les « purifications communautaires » qui préludent à la séparation définitive. C'est aussi à Beyrouth en 1982 qu'Israël va tenter de régler par la force le problème historique que crée son refus du vivre ensemble avec les Palestiniens et imposer au Liban une paix séparée, avant d'être forcé de quitter la ville transformée en champ de ruines. C'est également à Beyrouth en 1985 que les deux camps qui s'affrontent depuis dix ans vont à tour de rôle imploser et transformer le conflit libanais en une multitude de petites guerres entre Palestiniens et chiites, puis entre sunnites, chiites et druzes et, enfin, entre chiites et chiites avant que les chrétiens ne prennent la relève et ne se livrent bataille avec une violence inouïe. C'est enfin à Beyrouth à partir de 1990 que les Syriens vont tenter d'imposer leur rêve d'une « Grande Syrie » que le colonialisme aurait, en 1916, avec les accords Sykes-Picot, amputé de sa province libanaise.
Mais c'est aussi à Beyrouth en 1997 que le pape Jean-Paul II lance un appel solennel à la « purification des mémoires » et invite les Libanais à renouer avec le message de paix et d'ouverture qui a été le leur, pavant la voie à l'appel historique de l'Église maronite (septembre 2000) pour le recouvrement de l'indépendance du Liban. C'est toujours à Beyrouth en 2002 que les Arabes, réunis dans le cadre d'un sommet arabe, décident solennellement, pour la première fois depuis 1948, de tourner la page avec Israël et lancent une initiative de paix arabe.
C'est également à Beyrouth en 2005 que les Libanais, révoltés par l'assassinat de l'ancien Premier ministre, Rafic Hariri, surmontent leur passé de guerres, de souffrances et d'humiliations, et s'unissent pour imposer leur droit à « vivre ensemble » dans un cadre national au sein duquel ils seraient seuls maîtres de leurs décisions. Pour la première fois dans l'histoire de la région, le changement n'est pas imposé de l'extérieur, mais voulu. La « révolution du Cèdre » marque, comme l'avait fait la chute du mur de Berlin pour les pays d'Europe de l'Est, la fin d'une période et ouvre la voie à une transformation pacifique du monde arabe. C'est aussi à Beyrouth en 2006 que la Syrie et l'Iran vont, pour mettre en échec le changement amorcé en 2005, œuvrer à rompre les liens que les Libanais avaient renoués entre eux en ayant recours à la terreur et en redonnant vie aux antagonismes communautaires. C'est enfin à Beyrouth en 2008 qu'a lieu le choc entre les deux islam, l'islam de la violence qui tente de prendre le contrôle par la force des armes - comme il l'avait fait à Gaza en 2007 - de Beyrouth et l'islam de la tolérance et de la modération dont les représentants, venus de tout le monde arabe pour l'inauguration de la mosquée construite par Rafic Hariri dans le centre-ville et du centre de l'imam Sadek dans la banlieue de Beyrouth, réaffirment avec force leur opposition à tous les extrémismes.
Pourquoi Beyrouth aujourd'hui ? Parce que c'est ici que le sort du Liban et l'avenir de la région se décident. Les Libanais, et avec eux les Arabes, sont placés au pied du mur, forcés de choisir entre deux cultures : une culture de la violence et de la rupture et une culture de la paix et du lien.