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Mûrs pour le pouvoir?

Côté votes, ça progresse. Et il y a de l'argent dans les coffres.
Mais le Parti vert peine à faire élire des députés.
Le nouveau chef qu'il élira devra trouver les bons engrais!

par Alec Castonguay
publié dans L'actualité du 1er septembre 2006

Pour en savoir plus...

·  Le programme du Parti vert

·  Les verts dans le monde

On dirait la bonne idée d’un faiseur d’image. Choisir une terrasse au milieu d’un beau parc urbain pour réunir des membres du Parti vert.

Mais ce n’est pas un coup de marketing. La vérité, c’est que Jean-François Pinel, président de l’association du Parti vert du Canada (PVC) dans la circonscription d’Outremont, dirigeait jusqu’à récemment le club de tennis du quartier. «J’ai gardé la clef, alors j’ai tenu notre assemblée générale ici, dit-il. On n’a pas de local...»

Pas très grave, remarquez. Après tout, l’association de circonscription ne compte que… 11 membres actifs. «On a un long travail devant nous pour faire connaître le parti», dit François Pilon, candidat local aux dernières élections.

Est-il trop sévère? L’homme de 50 ans, qui dirige une entreprise de déneigement l’hiver et d’installation de cordes à linge l’été, a obtenu 4,9% des voix en janvier 2006. Depuis 2000, le nombre de votes en faveur du Parti vert a fait un bond de 480%, passant de moins de 104 000 à près de 500 000 pour l’ensemble du Canada. Le nombre de membres a suivi la même courbe, passant de 500 à 5 500.

C’est encore bien loin des quelque 200 000 membres du Parti libéral du Canada, mais quel chemin parcouru depuis ce jour de février 2003 où Jim Harris, consultant en gestion de Toronto, a pris les rênes de la formation.

À cette époque, le parti dispose d’un budget annuel de 25 000 dollars — somme ridicule en comparaison des 18 millions du Parti conservateur du Canada. Faute de local permanent, la direction se réunit chez un membre du parti, dans un quartier résidentiel d’Ottawa. Il n’y a aucun employé rémunéré et c’est un bénévole qui tient les livres. Le site Internet tombe en panne dès que quelques centaines de personnes tentent simultanément de le consulter.

La première décision du nouveau chef: remplacer les conférences téléphoniques par le courrier électronique, afin de réduire les dépenses. «Au Parti vert, il faut toujours consulter tout le monde et les interurbains nous coûtaient plus de 6 000 dollars par an — le quart du budget annuel!» raconte Jim Harris, qui en rit aujourd’hui. «Je n’étais même pas découragé. Je me disais qu’il est facile de s’améliorer quand on est au plus bas!»

Jim Harris a décidé, en avril dernier, de quitter son poste de chef du PVC. Il laisse derrière lui une organisation transformée. Près de 20 employés à temps plein — 50 en période électorale —, tous rémunérés, s’activent à la permanence du parti, au troisième étage d’un immeuble de la rue Bank, à un jet de pierre du parlement, à Ottawa.

Reconfiguré, le site Internet peut accueillir un million de visiteurs par jour, même si la fréquentation réelle tourne autour de 2 000 personnes — près de 25 000 en période électorale.

La progression est gigantesque, affirme Jean Langlois, directeur général du parti. Le poste qu’il occupe n’existait pas il y a deux ans. «Rien que ma présence est une victoire», dit-il en remerciant d’un grand sourire l’ancien premier ministre Jean Chrétien, qui, en 2003, a réformé le financement des partis fédéraux. Depuis, toutes les formations reçoivent chaque année 1,75$ par vote obtenu aux plus récentes élections. Pour le Parti vert, ça signifie un pactole d’un million de dollars par an. Auquel il faut ajouter le produit du financement privé, qui est passé sous Jim Harris de 25 000 à 440 000 dollars par année.

En 2004, pour la première fois, le PVC présentait des candidats dans chacune des 308 circonscriptions du pays. Une situation qui s’est répétée aux élections de janvier 2006.

Mission accomplie? Non. Les indicateurs ont beau être favorables, le parti a atteint un plateau, admettent les militants d’un peu partout au pays. Même si 4,5% des Canadiens ont voté pour la formation en 2006, il n’y a aucun député vert à la Chambre des communes. Et l’étape cruciale consistant pour le PVC à obtenir son premier siège ne sera pas facile à franchir. Les défis qui attendent le prochain chef (lequel sera choisi au congrès du parti, à Ottawa, du 24 au 27 août) s’annoncent difficiles à relever.

Pour Jean Langlois, il est nécessaire de redoubler d’efforts sur le terrain. «Dans bien des circonscriptions, le parti n’était qu’un nom sur un bulletin de vote, dit-il. Maintenant, il faut passer de 308 candidats à 308 vraies campagnes électorales.»

David Chernushenko, 42 ans, leader adjoint du PVC et l’un des deux plus sérieux aspirants au trône des verts (l’autre est Elizabeth May, 52 ans, ex-directrice générale de l’organisme écologiste Sierra Club du Canada), le confirme. «Il faut être honnête: un tiers de nos candidats sont bons, un autre tiers sont très moyens et le dernier tiers sont trouvés à la dernière minute», dit-il, refusant toutefois d’affirmer qu’il manque de candidats de prestige. «Le Parti vert ne sera jamais le parti d’une ou deux personnes. Il faut construire une équipe, mieux appuyer nos candidats sur le terrain. Et trouver comment gagner les gens à notre parti, en 15 secondes dans un ascenseur, s’il le faut…»

Les hautes instances du Parti vert du Canada s’emploient donc à bâtir des associations de circonscription d’un océan à l’autre. Il y en a maintenant 137, dont 17 au Québec.

«Les partis contre lesquels il faut se battre sont loin devant nous pour ce qui est de l’organisation et de l’efficacité, dit François Pilon, candidat défait dans Outremont. Les moyens mis à notre disposition sont insuffisants, l’organisation est balbutiante. Le jour des élections, je faisais, tout seul, le tour des bureaux de scrutin pour voir si tout allait bien. Pendant ce temps, les libéraux pouvaient offrir aux électeurs des chauffeurs pour les accompagner et des gardiennes pour garder leurs enfants; ils disposaient d’une armée de bénévoles au téléphone... Ce n’est pas avec nos 50 pancartes réparties dans toute la circonscription qu’on va pouvoir concurrencer ça.» Mais Jean-François Pinel nuance. «On est à peine en train de passer de l’idéologie à la pratique, dit le président de l’association d’Outremont. Il y a quelques années, certains militants souhaitaient même qu’il n’y ait pas de chef, parce que ça faisait trop “parti traditionnel”!»

Le manque d’organisation n’est pas le seul problème à régler. «Les gens nous trouvent intéressants. Mais sans le dire ouvertement, ils pensent qu’on perd notre temps, explique encore Jean-François Pinel. Tout le monde nous aime, mais personne ne vote pour nous.» Selon lui, il faudra montrer que le PVC n’est pas qu’affaire d’environnement. «Les gens ne savent pas que nous avons des politiques sur l’économie, la fiscalité, les affaires étrangères, la santé, la pauvreté», dit-il. Ce que confirme un sondage CROP- L’actualité effectué à la mi-juin auprès de 1 001 Québécois (voir tableau).

Même les écolos ne sont pas acquis au PVC! En 2006, Greenpeace a critiqué ce dernier, soutenant que sa plate-forme électorale était trop à droite et pas assez interventionniste en environnement. «L’environnement n’est ni de gauche ni de droite! réplique Jean Langlois, piqué. Tout le monde veut de l’air plus pur, de l’eau plus propre et une économie plus durable. Pour y arriver, on peut utiliser à la fois le marché et les lois. Et c’est ce que nous ferons.»

Bref, le chemin s’annonce long jusqu’aux Communes. Et les verts sont nombreux à rêver d’un raccourci: la proportionnelle. Dans ce système électoral, où un certain nombre de députés sont choisis en fonction du pourcentage des votes reçus par leur parti, les 4,5% recueillis au scrutin de janvier dernier auraient donné au moins deux sièges au PVC. Selon Pierre Serne, directeur de cabinet de l’adjoint au maire de Paris et lui-même un vert influent, le système proportionnel est la planche de salut des verts. «La trentaine de pays où il y a des députés verts ont un tel système», dit-il. (Les répondants au sondage CROP- L’actualité de juin ont indiqué, dans une proportion de 24%, que la proportionnelle les inciterait davantage à voter pour le PVC.)

Cette solution semble bien improbable à court terme. Mais participer au débat des chefs, l’autre rêve des verts, semble plus réaliste, puisque des négociations sont menées en ce sens avec les réseaux de télé chaque fois qu’il y a des élections. Le parti n’a pas obtenu gain de cause jusqu’à présent, mais il espère que les 50 000 plaintes envoyées aux grands réseaux par le public lors des derniers débats des chefs feront pencher la balance. «Si on participe au débat, on double le nombre de votes en notre faveur», dit Jim Harris, citant l’exemple de la Colombie-Britannique, où le Parti vert provincial a réussi par ce moyen à apparaître sur l’écran radar.

«L’idée progresse, même si les autres partis font beaucoup d’obstruction, dit Jim Harris. La prochaine fois pourrait être la bonne.»

Mais le candidat d’Outremont ne se fait pas d’illusions. «Le parti va mieux, les espoirs sont grands, mais le jour où un vert sera aux Communes n’est pas encore arrivé, dit François Pilon. Moi, je veux faire progresser la cause pour que mes petits-enfants puissent voter pour le Parti vert en sachant que leur candidat a des chances d’être élu.»

Les verts dans le monde

(par Louise Gendron)

Plus de 80 pays, du Burkina aux États-Unis, comptent au moins un parti vert. Et quelques pays, dont la Belgique et les Pays-Bas, en ont deux!

Les premiers ancêtres des partis verts sont nés à peu près simultanément, en Australie et en Nouvelle-Zélande, en 1972. Mais c’est l’Europe qui, jusqu’à maintenant, a été la terre la plus fertile pour les politiciens écolos.

Le Suisse Daniel Brélaz, de Lausanne, a été le premier vert au monde à gagner un siège de député au Parlement national. C’était en 1979, il y a près de 30 ans! Mais les Allemands sont les premiers, en 1980, à avoir adopté le terme «vert», qui s’est répandu partout sur la planète.

Depuis, les verts ont vu 44 des leurs occuper des postes de ministres dans 15 pays d’Europe. Les plus familiers du pouvoir sont cependant les verts allemands. De 1998 à 2002, puis de 2002 à 2005, ils ont formé avec les sociaux-démocrates un gouvernement de coalition «rouge-vert», qui a notamment adopté une politique énergétique par laquelle l’Allemagne s’est engagée à se libérer de sa dépendance au nucléaire.

Aux États-Unis, c’est en 2002 qu’a été élu le premier vert à une chambre des représentants (John Eder, dans le Maine). Le Parlement européen compte pour sa part 42 verts (du Parti vert européen ou de l’Alliance libre européenne).

En Amérique, le premier parti vert est sans doute le Small Party, fondé en Nouvelle-Écosse, en 1980, entre autres par Elizabeth May, candidate à la chefferie du Parti vert du Canada! Outre ce parti fédéral, le pays compte huit partis provinciaux, mais aucun député vert pour l’instant. En Colombie-Britannique, une quinzaine de conseillers municipaux ont toutefois été élus sous une étiquette écologiste.

Aux dernières élections fédérales, en janvier 2006, le Parti vert a récolté 4,5% des voix. Le Parti vert du Québec, de son côté, a présenté 37 candidats aux élections de 2003; ensemble, ils ont obtenu un peu moins de 17 000 votes, soit moins de 1% du scrutin. Mais le parti recueillerait maintenant près de 10% des intentions de vote, selon un récent sondage CROP. Son nouveau chef, Scott McKay — qui rêve lui aussi de proportionnelle —, s’engage à doubler le nombre de candidats aux prochaines élections générales. En attendant, le parti présente un candidat à chacune des deux partielles qui se tiennent ces jours-ci au Québec.

SONDAGE CROP- L'actualité

Selon vous, laquelle des raisons suivantes explique la difficulté du Parti vert à percer?

Le parti a trop peu de chances d’être élu pour que l’on vote pour lui.

40%

Son programme n’est pas assez connu.

16%

Le parti est faible dans les secteurs clés de la santé et des finances.    

13%

Le parti n’a pas de tête d’affiche.

8%

Le parti manque de fonds.

1%

Plus d'une réponse.

10%

Autre

3%

NSP/Refus

9%

Sondage effectué par CROP du 12 au 25 juin, auprès de 1 001 personnes. Marge d’erreur de 3%, 19 fois sur 20.