René Latendresse
L’accommodement déraisonnable
Le ministre de l’éducation, Jean-Marc Fournier, vient de créer un comité consultatif chargé de se pencher sur la controversée question de «l'accommodement raisonnable». Ce comité passera en revue les récentes situations amenées par la nouvelle réalité ethnoculturelle et religieuse du Québec, particulièrement à Montréal, et recensera aussi les différents accommodements «raisonnables» qui ont été mis de l’avant en guise de «modus vivendi». Le dépôt du rapport est prévu en 2007. Soulignons qu’il y a quelques semaines La Presse a publié un dossier fort intéressant sur cette question qui permettra sûrement d’alimenter la discussion.
Maintenant quoi dire de cette initiative? Sinon d’abord qu’à la veille d’une élection générale au Québec, personne n’est dupe des véritables motivations derrière la mise sur pied de ce comité. En effet, tous les partis ont avantage à courtiser les communautés culturelles, le Parti libéral peut-être plus que les autres. Ensuite, qu’il est difficile d’être contre la vertu. Mais s’il s’agissait en fait d’un faux débat.
Personnellement, j’en ai contre tout ce courant d’accommodements dits «raisonnables» qui relève bien plus de l’idéologie de la rectitude politique que du simple bon sens. En marge de ce dossier, la présidente de la CSM, madame Diane de Courcy, parlait plutôt de la nécessité de trouver des stratégies «gagnantes – gagnantes»! «Accommodements raisonnables», «stratégies gagnantes-gagnantes» voilà autant de formules toutes faites, stéréotypées caractéristiques de la langue de bois de plusieurs de nos élus qui, très souvent, n’ont pas à vivre dans le quotidien avec les conséquences de ces arrangements parfois douteux.
Il me semble que ce débat est tout sauf raisonnable et que de la façon dont vont les choses, il ne peut qu’y avoir que des perdants! De par leur nature même, les pratiques culturelles et les croyances religieuses sont tout sauf raisonnables. Au contraire, elles offrent un terreau fertile à l’irrationnel en déchaînant les passions et en se prêtant aux pires excès. J’en veux pour preuve les innombrables conflits ethniques et religieux qui sévissent un peu partout en ce moment sur la planète.
À mon avis en matière d’accommodement des groupes religieux ce qui est raisonnable est de ne pas accorder d’accommodement du tout! En effet, je préconise une approche de type républicain, à la manière de nos cousins français. Aucun signe religieux ostentatoire ne devrait être admis ni toléré dans les écoles publiques et endroits où des services de l’administration publique sont rendues. Comment peut-on, en effet, concilier à la fois le retrait des crucifix des conseils de ville et l’aménagement de lieux privés destinés à la prière de fidèles d’une religion particulière dans nos écoles publiques? La seule approche «raisonnable» que l’on puisse adopter est d’interdire complètement le religieux de la sphère publique. Aucune exception, aucune dérogation, aucun privilège, aucun passe-droit d’aucune sorte ne devrait être consenti à un groupe ethnoculturel ou religieux quel qu’il soit.
Je justifie ma position en vertu d’un principe fort simple : l’addition de tous ces accommodements dits «raisonnables» conclus à la pièce et souvent dans l’improvisation la plus totale, mine le principe même sur lequel repose le fondement de toute société amicale. Il y a une limite à conserver une attitude courtoise et objective dans la discussion de systèmes de croyances religieuses que l’on ne partage pas et, surtout, dont on a pas à assumer les conséquences. De peur de passer pour intolérants ou racistes plusieurs sont souvent disposés à accorder des droits ou privilèges à un groupe, parfois même au détriment d’autres groupes. Et une fois ces dangereux précédents adoptés, les revendications d’autres groupes ont tôt fait de se profiler à l’horizon, nous entraînant ainsi inévitablement dans une spirale infernale d’«accommodements» déraisonnables incessants. Ces compromissions rendront bientôt impossible tout fonctionnement social harmonieux.
À vouloir éviter systématiquement les paroles ou les actes qui peuvent être interprétés comme offensants pour les groupes minoritaires, c'est-à-dire les personnes qui se distinguent de par leur race, leur religion, leur nationalité, leur orientation sexuelle, etc., on peut craindre que dans notre empressement à consentir des accommodements raisonnables on en vienne à cautionner subrepticement bien malgré nous la tendance détestable de certains groupes ou communautés ethnoculturelles à s'isoler au sein de la société et refuser de s’intégrer pour sauvegarder l'originalité de leur culture, de leur culte ou la pureté de leur race.
Ainsi je suis contre tout accommodement pour déplacer la date d’un examen pour des étudiants musulmans en raison de leur pratique religieuse (comme s’est arrivé dernièrement à l’UQÀM). Pas d’accommodement «raisonnable» non plus pour des élèves musulmanes qui exigent un évaluateur féminin lors des examens de natation et l’absence d’homme au abord de la piscine. Interdit aussi le kirpan, n’en déplaise à la Cour suprême, parce que le privilège du port du kirpan à l’école et autres lieux publics que revendiquent les Sikhs ne leur est même pas accordé dans leur propre pays! Et, ensuite, parce qu’une arme blanche est une arme blanche est une arme blanche! Et ceux qui prétendent que ce poignard ne peut être employé à des fins meurtrières n’ont qu’à voir l’utilisation qu’en ont fait, en mai et juin 1984, des indépendantistes Sikhs qui se sont réfugiés dans le temple d'or d'Amritsar, sanctuaire de leur religion. En effet, on rapporte que lors d’affrontements qui ont coûté la vie à 90 soldats indiens et 712 Sikhs, certains soldats ont été tués en combats corps à corps à l’aide de kirpans! Non aussi aux lois et tribunaux islamiques, judaïques ou de tout autre religion que ce soit. Une seule loi devrait s’appliquer pour tous les citoyens sans exception.
Nous avons la chance au Québec de vivre dans une société libre et démocratique ouverte sur le monde et qui peut s’enrichir des cultures et valeurs de personnes issues des quatre coins de la terre. Tous sont libres d’adhérer au système de croyances religieuses de leur choix, vénérer leur dieu comme ils le désirent, dans leur lieu de culte respectif ou dans le cadre de leur vie privée et familiale. Et c’est bien qu’il en soit ainsi. Mais de vouloir étendre le religieux à la sphère publique par l’immixtion sournoise d’accommodements dits «raisonnables» aura des conséquences désastreuses pour la société civile et ne fera, à terme, que perturber le fonctionnement social et créer des tensions entre les diverses communautés ethnoculturelles et les québécois de souche. Il est ironique de constater que le résultat obtenu sera précisément l’inverse du but poursuivi par l’introduction des ces prétendus «accommodements raisonnables»! À coup d’accommodements raisonnables, s’est toute la société qui risque bientôt de basculer dans le «déraisonnable», le fanatisme et la ghettorisation. L’Histoire nous enseigne qu’il est alors difficile de faire marche arrière.
Pendant ce temps on apprenait que des militants péquistes «issus de l'immigration» ont claqué la porte et démissionné de l'exécutif du parti québécois, un parti de «blancs» fermé aux aspirations et à la représentativité des communautés culturelles. Bienvenue Monsieur Boisclair comme chef de l’opposition officielle à Québec! Nul doute qu’en fin politicien que vous êtes vous trouverez un «accommodement raisonnable» pour vous tirer de ce mauvais pas.