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Dix raisons d’agir

N’attendons pas que le ciel nous tombe sur la tête pour ouvrir le parapluie!

Voici ce qu’on devra changer pour s’adapter aux nouvelles conditions climatiques.

par Valérie Borde

publié dans L'actualité du 1er avril 2006

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Une petite augmentation de 2°C l’hiver et de 1,5°C l’été, on ne serait pas contre. Et c’est ce qui arrivera dans le sud du Québec d’ici 2100, prédisent les modèles climatiques les plus optimistes. À l’échelle mondiale, la hausse sera d’au moins 1,4ºC et d’au plus 5,8ºC comparativement à 1990, selon le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évaluation du climat (GIEC), publié en 2001. Sauf que ces changements auront d’innombrables conséquences, qu’on commence à peine à imaginer...

Les écosystèmes, la faune et la flore auront du mal à s’adapter à des bouleversements aussi rapides (normalement, les moyennes annuelles varient peu: seulement 5ºC nous séparent de la dernière glaciation, il y a 10 000 ans). Ce sera plus facile pour les humains. «Le plus inquiétant, c’est que le climat se montre de plus en plus capricieux du fait de son instabilité», dit Alain Bourque, responsable du volet Impacts et adaptation du consortium de recherche Ouranos. À l’exception des tremblements de terre et des éruptions volcaniques, la plupart des catastrophes naturelles sont liées au temps qu’il fait.

Les modèles le disent depuis longtemps: les pays du Sud seront les premières victimes des changements climatiques, car ils sont à la fois plus pauvres, plus peuplés… et plus chauds. À Kyoto, en 1997, la question de l’adaptation ne passionnait guère les pays industrialisés, qui ne se sentaient pas très concernés. Et qui, de plus, craignaient de devoir payer la facture. Jusqu’à ce que Dame Nature leur jette au visage les preuves de leur propre vulnérabilité: canicules et inondations en Europe, ouragans aux États-Unis, sécheresses et verglas au Canada… «Depuis quelques années, notre relation aux accidents climatiques extrêmes a profondément changé», croit l’expert français Pierre Radanne. On sait maintenant que l’avenir économique et social de tous les pays, du plus pauvre au plus riche, dépendra beaucoup de leur capacité de parer à ces catastrophes à répétition.

Chacun à leur échelle, des groupes de chercheurs (Ouranos au Québec, le Programme sur les impacts et l’adaptation liés aux changements climatiques du ministère des Ressources naturelles au Canada, le GIEC au niveau mondial, entre autres) ont donc commencé à dresser la liste des devoirs qui attendent le monde. «Les solutions font appel à la fois à la technologie, à la réglementation, à la sensibilisation et à l’aménagement du territoire», croit Alain Bourque. Même les cancres finiront probablement par s’y mettre, quand ils n’auront plus le choix…

1. Désembourber l’Arctique
C’est dans l’Arctique que les températures grimperont le plus et que les écosystèmes seront les plus bouleversés. La fonte des glaces et du pergélisol est lourde de conséquences pour les populations nordiques. Près des côtes, où vivent notamment 10 000 Québécois, elle accroît le risque de glissements de terrain, quand un sol plus dur que le roc devient une boue molle et instable. Il faudra rapidement consolider les fondations des bâtiments, en déplacer certains, refaire les pistes des aéroports, changer les habitudes de déplacement sur la glace et surveiller plus étroitement la qualité de l’eau potable. La modification des écosystèmes précipitera aussi les changements culturels, tels que les habitudes de chasse et de pêche, et leurs effets sur le plan social.

2. Partager l’eau
D’infimes variations de température peuvent provoquer des changements spectaculaires dans le régime des eaux. Déjà, dans les Prairies canadiennes, l’eau se fait dramatiquement plus rare, selon David Schindler, écologiste réputé et professeur à l’Université de Calgary. L’agriculture, comme beaucoup d’autres secteurs d’activité, devra apprendre à être moins gourmande en eau. Dans les Grands Lacs et le Saint-Laurent, on s’attend aussi à une baisse du niveau de l’eau (jusqu’à un mètre dans le fleuve d’ici 2100!), provoquée par une plus grande évaporation. De quoi engendrer d’innombrables débats houleux sur la meilleure manière de gérer la rareté, en tenant compte des besoins des municipalités, des industries et de la navigation commerciale… des deux côtés de la frontière canado-américaine.

3. Changer de culture
À l’échelle mondiale, l’agriculture est le premier secteur économique touché par les changements climatiques. Pourtant, les répercussions seront très variables, même à l’intérieur du Canada, et bien difficiles à prévoir… Certaines cultures bénéficieront probablement de la chaleur accrue, d’autres souffriront du manque d’eau. Dans tous les cas, si les changements sont suffisamment lents, les agriculteurs devraient avoir le temps de faire face en choisissant des variétés mieux adaptées. Mais la carte des vins de 2100 ne ressemblera pas à celle d’aujourd’hui. Les experts s’inquiètent davantage de l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des périodes de sécheresse et d’inondation, qui pourrait désorganiser sérieusement la production agricole.

4. Sauver les ressources naturelles
Les changements climatiques auront un effet sur les ressources naturelles, dont dépend une bonne part de l’économie canadienne. Dans les forêts, la répartition des espèces et leur rythme de croissance changeront. Les insectes s’adaptant plus vite que les arbres, les épidémies pourraient être plus fréquentes, tout comme les feux, favorisés par la chaleur et les épidémies (des arbres morts, ça s’embrase vite!). L’industrie forestière se prépare à migrer vers le nord au même rythme que la forêt boréale. Au sud, si la température moyenne augmente de 2ºC, la production de sirop d’érable sera fortement compromise, selon Jay Malcolm, professeur de foresterie à l’Université de Toronto. Côté pêche, on s’attend aussi à des changements majeurs. Le saumon atlantique pourrait même disparaître, croit Gail Chmura, géographe à l’Université McGill. Des poissons d’eau douce, comme la truite arc-en-ciel, souffriraient du réchauffement de l’eau, alors que d’autres, comme l’esturgeon, en profiteraient.

5. Adapter le tourisme
En avril 2003, la station balnéaire de Djerba, en Tunisie, accueillait la première Conférence internationale sur le tourisme et les changements climatiques. Lentement, l’industrie, qui joue un rôle vital dans l’économie de nombreuses régions du monde, se prépare aux changements: saisons de ski raccourcies, baisse de la fréquentation pendant les canicules, à la suite d’ouragans ou d’inondations, disparition de plages à cause de l’érosion… ou réchauffement des eaux de baignade. Daniel Scott, professeur à l’Université de Waterloo et spécialiste du sujet, estime par exemple que la saison de motoneige pourrait être deux fois plus courte dans le sud de l’Ontario d’ici 2050.

6. Payer les dégâts
Combinés à la vulnérabilité croissante des populations — plus nombreuses au sud, plus dépendantes des infrastructures au nord —, les événements extrêmes tels que les inondations, ouragans et autres tempêtes de verglas coûtent de plus en plus cher aux gouvernements et aux assureurs. La sécheresse de 2001 a coûté 5 milliards au Canada et la tempête de verglas de 1998, 4,2 milliards. Les assureurs américains débourseront 60 milliards de leurs dollars pour Katrina. Nombre de compagnies d’assurances se retirent de régions entières qu’elles jugent désormais trop à risque en raison des changements climatiques, comme la Floride ou le bord des rivières allemandes. Qui paiera les dégâts?

7. Rehausser les digues ou... déménager
Sur les 240 000 km de littoral du Canada, 7 000 km sont très sensibles à une hausse du niveau de l’eau, selon l’Institut océanographique de Bedford (à Dartmouth, en Nouvelle-Écosse). C’est sur la côte atlantique des Maritimes que l’on s’attend aux plus grandes conséquences. À Charlottetown, notamment, où le niveau de la mer a déjà grimpé de 32 cm depuis 1911, on craint que la remontée de l’eau salée, l’intensification des tempêtes et l’érosion ne causent des dommages considérables. Côté pacifique, des portions des îles de la Reine-Charlotte, le delta du Fraser et des quartiers de Victoria et de Vancouver sont aussi jugés très sensibles. Dans l’Arctique, ce sont surtout les côtes de la mer de Beaufort qui souffriront à la fois de la hausse du niveau de l’eau et de la fonte du pergélisol. On connaît déjà les remèdes: il faudra rehausser les digues, renforcer les infrastructures… ou déménager.

8. Reconstruire les routes
Bonne nouvelle: avec des hivers moins longs, les nids-de-poule et les accidents de la route devraient diminuer au Québec, croient les experts. Mais l’augmentation de l’intensité et de la fréquence des fortes pluies obligera à reconstruire les routes pour mieux diriger le ruissellement. À Montréal, l’été dernier, des automobilistes ont déjà fait les frais de la transformation de portions d’autoroutes en piscines olympiques! Les infrastructures côtières (les routes et les ponts, par exemple) devront être protégées de l’érosion ou déplacées. En matière de transports, les adaptations seront coûteuses, prévoient les experts, mais faciles à gérer.

9. Penser santé
En juillet 1995, la canicule qui a sévi à Chicago a fait plusieurs centaines de morts. Pourtant, la leçon n’a pas servi aux autorités françaises, qui se sont laissé surprendre par la vague de chaleur de 2003, encore plus meurtrière, avec 15 000 morts. «Il faut souvent plusieurs crises pour réveiller les esprits», dit Alain Bourque. Multiplication des canicules, épisodes de smog provoqués par la chaleur, contamination de l’eau potable après de fortes pluies (comme ce fut le cas à Walkerton)… ce sont surtout ces événements extrêmes qui inquiètent les spécialistes en santé publique, qui surveillent aussi la remontée vers le nord de certaines maladies vectorielles, comme la malaria, la maladie de Lyme ou le virus du Nil. La santé est en outre un bon moyen de sensibiliser les décideurs à l’urgence d’agir…

10. Gérer l’énergie autrement
Les experts prédisent que la demande en énergie diminuera dans les pays nordiques comme le Canada, la hausse de la climatisation ne compensant pas la baisse du chauffage. Alors qu’aux États-Unis, la demande devrait augmenter. La rentabilité de l’hydroélectricité, mais aussi celle de l’énergie éolienne ou solaire, dépendra de la manière dont les entreprises parviendront à prévoir les nouvelles conditions climatiques et à en tirer parti. Tout un défi pour les ingénieurs! En matière d’énergie, les mesures prises pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre et la crise attendue du pétrole auront certainement plus de répercussions que les changements climatiques eux-mêmes.