Des pays déclarent la guerre aux bombes à sous-munitions

Marc Thibodeau
La Presse
Le mardi 20 mai 2008

Dublin

Les représentants de plus d'une centaine de pays sont réunis depuis hier à Dublin, en Irlande, pour discuter d'un traité interdisant les bombes à sous-munitions, armes dévastatrices qui continuent de faucher des vies longtemps après la fin des conflits militaires. Les États-Unis, la Russie et la Chine boycottent le processus, mais pourraient être forcés d'emboîter le pas si les pourparlers sont couronnés de succès.

Le corps de Branislav Kapetanovic constitue en soi une frappante dénonciation des bombes à sous-munitions (BASM).

Cet ancien démineur militaire de 42 ans, qui se déplace en fauteuil roulant, a perdu ses mains, ses jambes ainsi qu'une partie de son ouïe et de sa vision à la suite d'une explosion survenue en novembre 2000 près d'un aéroport serbe.

Un an plus tôt, lors de la guerre du Kosovo, les avions de l'OTAN avaient largué des BASM sur la zone. Plutôt que d'exploser comme prévu en touchant le sol, plusieurs des charges explosives libérées sont demeurées intactes, formant autant de «pièges à retardement».

M. Kapetanovic a dû subir une vingtaine d'opérations et quatre ans de réadaptation pour surmonter ses blessures. Plutôt que de s'apitoyer sur son sort, l'ancien soldat a décidé de s'engager activement dans une campagne internationale contre les sous-munitions en 2006.

Hier, c'est avec une vive émotion qu'il a pris la parole devant les représentants d'une centaine de pays réunis à Dublin pour discuter d'un traité visant à interdire la production, le stockage et l'utilisation des BASM.

«N'oubliez pas pourquoi ce traité est nécessaire: pour qu'il n'y ait pas d'autre victime comme moi», a-t-il déclaré dans un anglais hésitant.

Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, dans un message préenregistré, avait incité quelques instants plus tôt les participants à la conférence à mettre fin aux «horreurs» générées par les BASM.

«Les preuves disponibles démontrent que ces armes frappent sans discrimination civils et militaires et qu'elles ne sont pas fiables. Au Cambodge, au Laos ou au Vietnam, l'injustice qu'elles génèrent a touché plusieurs générations», a indiqué Ad Melkert, du Programme des Nations unies pour le développement.

 

98% de victimes civiles

 

Les BASM sont composées d'un conteneur métallique qui peut englober plusieurs centaines de petites charges explosives désignées comme sous-munitions. Elles ont été utilisées à plusieurs reprises depuis la Deuxième Guerre mondiale, en particulier lors de la guerre du Vietnam et plus récemment en Irak. Israël y a eu recours lors de la guerre contre le Hezbollah au Liban en 2006, larguant plus de quatre millions de sous-munitions.

Les organisations non gouvernementales en campagne pour faire interdire ces armes relèvent qu'une fraction importante des sous-munitions - pouvant varier de 5 à 40% - n'explosent pas en touchant le sol et continuent de tuer bien des années après la fin des conflits armés.

L'organisation Handicap international a relevé dans une récente étude internationale que 98% des victimes recensées étaient des civils.

Pour contourner le blocage rencontré dans les instances traditionnelles de négociation sur les armes, la Norvège a lancé l'année dernière le «processus d'Oslo», qui doit mener avant la fin de 2008 à la signature d'un traité exhaustif d'interdiction sur les BASM. D'une cinquantaine de pays, le nombre d'États participants aux discussions a graduellement crû pour excéder la centaine, ce qui donne confiance aux promoteurs du traité.

Toutefois, des pays réfractaires réclament l'extension de la période de six ans prévue dans le projet de traité pour la destruction des armes existantes ou l'exclusion de certains modèles de BASM sous prétexte qu'ils sont plus fiables.

Le Canada est aussi montré du doigt par certains militants, qui lui reprochent son approche timorée. Le gouvernement canadien craint, s'il signe le traité, de ne plus pouvoir poursuivre ses opérations militaires communes avec les États-Unis, qui demeurent l'un des principaux fabricants et utilisateurs d'armes à sous-munitions.

Un précédent qui a du poidsLes organisations non gouvernementales qui militent pour l'interdiction des armes à sous-munitions évoquent, en appui à leur action, le précédent créé il y a 10 ans par le traité sur les mines antipersonnel.

L'exemple a du poids puisque le traité en question, adopté à Ottawa en décembre 1997, a eu un effet déterminant, souligne Marion Libertucci, chargée de plaidoyer pour l'organisation Handicap international.

«C'est un vrai succès», déclare la porte-parole en relevant que deux pays seulement - la Russie et la Birmanie - ont eu recours aux mines antipersonnel au cours des dernières années.

L'Observatoire des mines, qui étudie l'effet du traité, relève dans son plus récent rapport annuel que 46 États conservent actuellement des armes de ce type dans leur stock militaire, contre 130 États 10 ans plus tôt.

Le nombre de victimes continue de chuter en raison des efforts de déminage et d'éducation des populations vivant dans des zones dangereuses. En 2007, 5751 personnes ont été tuées ou blessées par des mines, soit 16% de moins que l'année précédente. Et près de la moitié moins qu'en 2002.

L'autre fait marquant, souligne Mme Libertucci, est que la «stigmatisation» des mines antipersonnel découlant du traité de 1997 a eu pour effet de décourager les pays non signataires de les utiliser.

«Les États hors du traité ont peur d'être confrontés à l'indignation de leur population civile, peur d'être mis au ban par la communauté internationale», dit-elle.

La Coalition contre les sous-munitions espère qu'un effet similaire se fera sentir si les pays réunis à Dublin réussissent à s'entendre pour interdire ce type d'arme.

Aki Ra

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