Publié le 04 octobre 2013

Le foulard n'est pas un détail, M. Parizeau

Ma Presse

Marie-Claude Lortie

MARIE-CLAUDE LORTIE
La Presse

Jacques Parizeau veut bien faire. Il veut contribuer à calmer le jeu, à trouver une issue à ce débat sur les valeurs qui s'enflamme comme on le craignait tous. Bravo. Merci.

Mais non merci: comme la commission Bouchard-Taylor, il cherche à désamorcer le conflit en évitant de plonger au coeur du sujet.

Tant dans son texte dans le Journal de Montréal que durant son entrevue avec Anne-Marie Dussault à RDI, même désir d'éviter de prendre le taureau par les cornes ou, pire, même volonté de minimiser un problème réel.

Le grand architecte économique de ce Québec que l'on connaît, l'ancien premier ministre, refuse de reconnaître l'importance de la signification symbolique, politique, inégalitaire du foulard islamique. Il en parle comme si c'était un détail dans un vaste débat plus grand et plus important sur la laïcité.

Mais arrêtons de nous leurrer. Arrêtons de tout mettre dans le même panier. Ce débat sur la laïcité, ce n'est pas un débat sur le port de la kippa chez les employés de la Société de l'assurance auto ou du turban chez les enseignants en garderie.

Ce débat porte en très très grande partie sur le foulard, ce vêtement identitaire, culturel, religieux, diront certaines, ce morceau de tissu taché de sang, pour reprendre l'expression de plusieurs féministes musulmanes.

Ce n'est pas un détail.

Il n'y aurait pas de Charte des valeurs et un aussi vaste mouvement à l'appui de la laïcité sur la place publique aujourd'hui sans ce fichu fichu. Il n'y aurait pas ce débat public sans l'affrontement qu'il provoque entre la liberté religieuse et le droit à l'égalité.

C'est le foulard et le retour en arrière, l'antimodernisme, le recul par rapport aux acquis de la Révolution tranquille, de la révolution féministe et de la révolution sexuelle qu'il exprime et représente - à tort, diront certains; de façon flagrante, diront d'autres - qui dérange la société québécoise.

Ça et le fait que des parents demandent aux médecins des certificats de virginité, ça et l'affaire Shafia, ça et toute demande du type «rendre opaques les vitres du Y pour qu'on ne voie pas de femmes en petite tenue» ou «plages horaires de piscine différentes pour les hommes et les femmes», ça et les hommes qui ne veulent pas que des hommes enseignent à leur femme...

Bref, même si d'autres demandes d'accommodements religieux existent, notamment pour les congés, le noeud de la discussion, au Québec, aujourd'hui, en 2013, c'est la crainte que des religieux orthodoxes ne fassent reculer le Québec.

Et ça, Jacques Parizeau n'en parle pas vraiment.

Ça ne m'étonne pas vraiment.

À 83 ans, ce grand penseur arrive d'une autre époque, et comme bien d'autres féministes, il y a longtemps que j'ai cessé de m'attendre à une sensibilité égalitaire dynamique de la part de la vaste majorité des hommes issus de ces temps anciens. (Vous vous rappelez la sortie de Lucien Bouchard au sujet des Québécoises qui ne font plus assez d'enfants?)

Jacques Parizeau veut bien faire, et je ne mets pas en doute ses convictions sur l'égalité. Mais quand l'ancien ministre des Finances de René Lévesque dit à Anne-Marie Dussault que le foulard islamique porté par les enseignantes, modèles premiers de la formation citoyenne, ce n'est qu'un détail dans une vaste et nécessaire réforme du système d'éducation, je trouve ça non seulement un peu myope, mais aussi carrément insultant.

«Je ne vois pas ce que le foulard islamique tout seul va régler comme problème», a déclaré l'ancien premier ministre.

Pardon?

Enlever le foulard des discussions, et il n'y en a plus de discussion. Tout le monde retourne regarder le hockey ou Occupation double.

C'est essentiellement de ça que les Québécois discutent depuis le début de tout ce projet lancé par la première ministre Pauline Marois. Et je dirais même depuis le début du débat sur les accommodements raisonnables.

???

M. Parizeau a raison quand il dit que ces discussions provoquent des manifestations d'intolérance absolument inacceptables.

Le Québec s'est bel et bien divisé, divisé en camps.

Il y a les intolérants qui se servent du féminisme et de la question de l'inégalité pour dissimuler leur xénophobie et se cachent derrière ces soi-disant préoccupations égalitaristes comme derrière un bouclier, pour l'exprimer sans honte.

Il y a les heureux sexistes qui trouvent formidable de pouvoir brandir l'argument de la tolérance et de l'acceptation de l'autre comme porte-étendard de leur soi-disant ouverture d'esprit, panneau publicitaire assez large pour cacher leur refus ou une certaine paresse, le temps venu de poser des questions difficiles au sujet des inégalités hommes-femmes propagées, encouragées, valorisées activement par certaines religions.

Entre tout cela, il y a les «entre-deux-chaises», des gens qui ressentent un malaise face au sexisme religieux, ont en même temps peur de passer pour des intolérants et sont préoccupés par le racisme dont ils sont témoins et qui, malgré tout, ne veulent surtout pas se mêler au débat, trop compliqué, trop délicat, trop risqué.

Et puis il y a ceux qui se prennent la tête pour démontrer qu'ils ne sont pas xénophobes mais préoccupés d'égalité et qui se font quand même traiter de xénophobes.

Il y a aussi les féministes musulmanes qui essaient de faire entendre leur message clé: «Le voile islamique est taché de sang, des femmes et des filles sont menacées de mort, tuées parce qu'elles refusent de le porter, c'est un symbole politique de soumission...»

Et puis il y a ceux pour qui il n'y a, sincèrement, réellement, authentiquement, qu'une cause qui compte dans la vie: la lutte contre l'intolérance envers les différences religieuses, culturelles ou raciales et qui mettent cette lutte devant toutes les autres préoccupations.

Et puis il y a les camps pro et anti-kippa... Mais non. Il n'y a aucun camp de rien du tout autour de la kippa ou du turban. Il n'y a pas de débat autour de cela. Il n'y a pas de débat parce qu'il n'y a pas de sens politique à ces symboles.

Le sujet des discussions politiques autour de la Charte, M. Parizeau, c'est un objet politique, c'est le foulard.

Et il est vrai que le Québec n'avait pas besoin de se déchirer là-dessus, mais c'est bien ce qui se passe.

Et aucune porte de sortie ne pourra être déverrouillée sans qu'on en parle de front.