Mouvement étudiant: l'inconfort d'un carré trop rouge

Publié 02 mai 2012

 

ÉTIENNE PELLETIER

Étudiant en création littéraire

Tout en étant favorable à l'opposition du mouvement étudiant contre la hausse des frais de scolarité, je ne peux me résigner à joindre ma voix aux cris révolutionnaires de certains. Ce n'est pas un secret qu'une frange du mouvement se réclame du marxisme, d'une mouvance d'extrême gauche ou autre variante anarchiste. Le problème, c'est qu'à force de voir rouge, on s'embourbe dans son exaltation et on oublie l'origine du conflit.

Le kitsch révolutionnaire

Ce lundi, grâce à la chronique de Pierre Foglia, j'ai découvert Fermaille, un site où fermente une littérature révolutionnaire 2.0 alliant poésie essayiste et texte d'opinion. Le hic : le lectorat est probablement constitué d'une pesante majorité d'indignés convaincus. Il s'agit davantage d'un « remontant » pour gréviste exaspéré et militant démotivé.

À la lecture de ces chants contestataires, cris de ralliement et complaintes débordantes de pathos, je ne peux m'empêcher de rougir - sans partisanerie - face au kitsch qu'ils incarnent. Kitsch au sens de l'assemblage d'un langage et d'une esthétique qui donnent forme à un ensemble idéologique. Masquant ses laideurs et excluant l'inacceptable, il véhicule une série d'images et de propos qui constitue une aura de mauvais goût.

Qu'il s'agisse d'un lexique proprement marxiste (révolution, lutte de classe, bourgeoisie, oppression capitaliste), de l'élaboration d'une mythologie du manifestant et la construction d'une image ou des slogans, une part des grévistes n'échappe pas au kitsch révolutionnaire.

Un discours codé

Michel Foucault remarquait à propos de mai 68 que cette expérience avait été « profondément engagée et codée par un discours marxiste auquel très peu échappaient ». En déclin depuis une trentaine d'années, le marxisme a longtemps été la machine à penser contre l'« idéologie capitaliste ». Toutefois, la crise financière de 2008 a provoqué la nécessité d'établir un rapport de forces avec l'ensemble « capitalisme, néolibéralisme, gouvernements et institutions financières », et c'est ainsi que certains ont choisi de réutiliser la machine marxiste. On le voit bien chez une partie des étudiants grévistes.

C'est précisément ce filtre idéologique, ce langage codé court-circuitant le discours, qui, au sein du mouvement étudiant, est agaçant. C'est le kitsch révolutionnaire, le lyrisme irritant et les refrains souffrant d'enflure. Le rouge qu'on présente comme giclées de sang et symbole de révolution; le noir de la colère prolétarienne et des uniformes policiers.

Il faudrait simplement être conscient que les associations étudiantes donnent aussi dans la manipulation, le manichéisme et les promesses fragiles; font preuve d'un manque de nuance, d'aveuglement et d'entêtement idéologique; prétendent au monopole de la liberté, des vertus et des bonnes intentions.

Le paradoxe de la récupération politique

La récupération politique du débat est à la fois inévitable, nuisible et nécessaire.

La greffe de protestations connexes à celle contre la hausse des frais de scolarité n'est pas une mauvaise chose; elle est l'expression d'un ras-le-bol général. Cette « fermaille », justement, entre les grévistes et une panoplie d'appuis extérieurs, est inévitable.

On semble enfin comprendre que toute cette agitation est la fumée d'un feu qui s'étend sur l'ensemble du Québec. C'est très bien de le voir, mais il faudrait aussi garder en tête l'étincelle qui a tout enflammé. Présentement, l'élargissement du conflit nous éloigne de l'enjeu principal. Sous prétexte d'un combat plus global, on ignore la menace d'une session annulée et on considère la hausse comme étant une simple composante d'un conflit plus grand. En ce sens, la récupération politique est nuisible à court terme.

Elle est cependant souhaitable à long terme, puisque les questions, dénonciations, réflexions et prises de conscience qu'elle engendre sont nécessaires au développement du Québec à venir. Gardons seulement à l'esprit que la résolution de la grève passe avant une révolution.

L'auteur est étudiant en Création littéraire au Cégep du Vieux-Montréal et il entamera sous peu un baccalauréat en Philosophie.