Quand les parents dérapent

Isabelle Hachey
La Presse
Le lundi 21 avril 2008

La ministre de l’Éducation, Michelle Courchesne, dévoile lundi un plan de lutte contre la violence à l’école. Il était temps, disent les profs, de plus en plus troublés par la violence dont ils sont victimes. Une violence qui se manifeste parfois là où on ne l’attend pas. Dans les classes de maternelle, par exemple. Ou chez les parents rendus fous furieux par une mauvaise note de leurs petits chéris.

Quand Serge Morin était directeur d’une école secondaire à Cap-de-la-Madeleine, il s’est frotté à des parents encore plus indisciplinés que les élèves dont il avait la charge. Des parents parfois carrément dangereux. «J’ai même été séquestré pendant une heure et demie dans mon bureau!», s’exclame le président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE).

Les parents étaient furieux parce que leur fille rebelle avait été suspendue. Ils sont arrivés à l’école sans crier gare. «Ils sont entrés dans mon bureau, raconte M. Morin. Le père s’est installé de façon à bloquer la porte. Ils ont dit: «On va sortir d’ici quand tu auras réadmis notre fille.» Il y a eu une demi-heure de silence, pendant laquelle je me suis caché derrière mon crayon et mes feuilles en faisant semblant de travailler.»

Le directeur d’école s’en est tiré avec une belle frousse. «Au bout d’un moment, je me suis dit que le pire qui pouvait m’arriver, c’est qu’ils me battent.» Il a rompu le silence. L’atmosphère s’est détendue, et les parents ont fini par s’en aller. «Je n’ai pas porté plainte parce que cela n’aurait aidé en rien la jeune fille.»

En Grande-Bretagne, on appelle ça la school rage. Là-bas comme ailleurs, le phénomène des parents enragés qui s’en prennent aux profs et aux directeurs d’école semble de plus en plus fréquent. «On en parle beaucoup entre nous, confie M. Morin. Dans un établissement moyen, une école primaire de 300 à 400 élèves, je suis certain que ça doit arriver une dizaine de fois par an.»

Mesures de protection

Plusieurs écoles ont adopté des mesures de protection contre ces adultes déchaînés. «Désormais, on suggère aux profs de ne pas rencontrer les parents sans être accompagnés d’un collègue, et jamais après 17h, quand ils risquent de se retrouver seuls dans l’école», dit le chercheur Denis Jeffrey, auteur du livre Enseignants dans la violence.

«Dans toutes les écoles primaires, maintenant, il faut sonner pour entrer, ajoute Luc Allaire, conseiller à la recherche de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ). La mesure s’est répandue parce qu’il y avait trop de parents qui entraient dans l’école comme dans un moulin pour aller engueuler l’enseignante en pleine classe. Ce n’est pas évident d’avoir un parent en furie qui vous invective devant tout le monde!»

Il s’agit la plupart du temps de violence verbale. Mais elle fait parfois encore plus mal que les coups, dit M. Morin. «J’ai déjà renvoyé une fille à la maison à cause de sa tenue vestimentaire. Elle portait une robe vraiment très courte. Sa mère m’a téléphoné pour me dire: «Cou’donc, la retournes-tu parce qu’elle te fait bander?» Ils viennent vraiment nous chercher dans notre intégrité personnelle.»

Les profs sont loin d’être à l’abri dans les écoles privées, souligne Francine Lamoureux, présidente de la Fédération du personnel des enseignements privés. «Parce que les parents payent, ils pensent avoir tous les droits, déplore-t-elle. Des enseignants qui font l’objet d’une vendetta d’un groupe de parents, c’est de plus en plus fréquent, et ça peut ruiner une carrière. Souvent, ça n’a aucun fondement. C’est un parent mécontent d’une note ou d’une punition pourtant parfaitement justifiée.»

Josée Bruneau, enseignante à l’école Charles-Lemoyne, à Saint-Hubert, se souvient d’une collègue harcelée pendant des mois par une mère qui n’acceptait tout simplement pas que les yogourts trop coulants soient bannis des collations en classe, question d’éviter les dégâts. «Elle l’engueulait comme du poisson pourri, lui envoyait sans cesse des lettres. C’était assez épouvantable.»

Comment réagir?

Si le phénomène des parents violents n’est pas très médiatisé au Québec, il en est autrement en Grande-Bretagne, où l’Association nationale des directeurs d’école va jusqu’à dénoncer ces parents comme étant «une plus grande menace à la discipline et à l’harmonie» que les élèves turbulents. Il y a quelques années, les directeurs d’école britanniques ont même exigé le droit de renvoyer les enfants dont les parents se montraient agressifs envers le personnel enseignant.

Ça n’est pas la solution, estime M. Morin. «L’enfant ne doit pas payer pour ses parents.» Le président de la FQDE croit plutôt qu’il faut traiter chaque cas individuellement, et avec beaucoup de délicatesse, dans ce genre de situation. «Je vois ça comme un signe de détresse, dit-il. Et j’ai vu beaucoup d’enfants gênés par le comportement de leurs parents.»

Reste à espérer que les écoles du Québec n’en viendront pas à adopter des mesures aussi draconiennes qu’aux États-Unis, où plusieurs directeurs embauchent désormais des gardiens de sécurité pour monter la garde à l’extérieur de leur bureau lors des rencontres de parents. Il faut dire qu’il y a de quoi être nerveux: il y a trois ans, l’entraîneur d’une école secondaire texane s’est fait tirer dessus à bout portant, en plein milieu du terrain de football, par le père d’un joueur exclu de l’équipe!

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