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Convoi de la liberté

Aux sources de la mobilisation : de grandes ambitions

Au premier abord, comme le soulignent plusieurs médias, l’effort de financement pour soutenir la mobilisation gravite autour de personnes telles que Tamara Lich.

Avec une poignée de collaborateurs, elle a lancé une campagne de sociofinancement sur la plateforme GoFundMe qui viserait, selon ses dires, à rembourser les dépenses des camionneurs liées à leur déplacement vers la capitale fédérale.

Établie à Medicine Hat, en Alberta, cette femme sans liens directs avec l’industrie du camionnage a été très active auprès du mouvement des gilets jaunes canadiens, entre autres. Elle est présentement secrétaire du parti fédéral Maverick qui prône l’autonomie, voire l’indépendance, des provinces de l’Ouest.

Un autre individu à l'origine de cette initiative de financement est Benjamin Dichter, cofondateur d’une maison de production de balados aux accents islamophobes et conspirationnistes. Questionné cette semaine par Tucker Carlson, animateur vedette de Fox News, sur les motifs de l’organisation du convoi, M. Dichter a répondu que le Canada de Justin Trudeau a basculé dans une « sombre forme d’autoritarisme » faite de « contrôle et d’oppression ».

Pour compléter ce bref survol des instigateurs du mouvement, il faut mentionner un groupe baptisé Canada Unity. Avec des antennes dans la plupart des provinces, il semble jouer un rôle important dans l’organisation logistique du « convoi de la liberté ».

Un article récent du site Vice soulignait le fait que le fondateur de Canada Unity, James Bauder, a ouvertement affiché son adhésion à la pensée de la mouvance QAnon, en plus de lier la pandémie à un vaste complot ourdi par les milliardaires George Soros et Bill Gates. Quant au premier ministre Justin Trudeau, M. Bauder aurait déjà manifesté par écrit son souhait de le voir se faire arrêter pour « trahison » et « crimes contre l’humanité ».

Ne reculant devant rien, le groupe Canada Unity a même forgé un document proposant au Sénat et à la gouverneure générale du Canada d’unir leurs forces afin d’exiger l’abolition de toutes les restrictions sanitaires imposées par Ottawa et l’ensemble des gouvernements provinciaux et territoriaux.

Ce n’est pas tout, le principal organisateur du convoi en Ontario, Jason LaFace, a confié à un média local que Canada Unity disposait d’une équipe « d’avocats constitutionnels » qui le soutiennent dans sa volonté de « dissoudre » le gouvernement de Justin Trudeau.

Force est donc de constater que ce type de rhétorique est porteuse d’un message qui dépasse de loin l’opposition à la vaccination obligatoire chez les camionneurs.

 

Le spectre de la radicalisation

Les observateurs des mouvements radicaux ont été nombreux à déceler le fait que des militants extrémistes n’ont pas hésité à se joindre à la vague de mobilisation soulevée par le « convoi de la liberté ».

Des conversations filmées entre individus liés à l’extrême droite canadienne ont filtré sur les réseaux sociaux. Dans un de ces exemples, un homme clame avec enthousiasme son souhait que le Canada « ait son propre 6 janvier », en claire référence à l’assaut contre le Capitole survenu le 6 janvier 2020.

Capture d'écran tirée d'une vidéo de sympathisants plus radicaux du « convoi de la liberté ». Photo : Radio-Canada

À ce genre de discours enflammés s’ajoutent toutes les images tirées du convoi où apparaissent des drapeaux confédérés, ou encore des affiches et pancartes qui font écho à la pensée trumpiste.

Avec la médiatisation de tels discours, Tamara Lich a multiplié sur Twitter les appels au calme tout en assurant que la situation serait maîtrisée : « Nous aurons du personnel sur le terrain pour surveiller les agitateurs et s’assurer que notre manifestation demeure pacifique et sécuritaire », écrit-elle.

Cela dit, il serait inexact de prétendre que des intentions violentes et insurrectionnelles animent la vaste majorité des sympathisants du convoi.

Bien des camionneurs partagent l’avis du Torontois Mike Millian, président du Private Motor Truck Council of Canada, que CBC a interrogé cette semaine. Tout en faisant partie des manifestants qui prennent part au convoi, il est d’avis que le mouvement a été « pris en otage » par les tenants de discours extrémistes.

Comme bien d’autres, il se revendique surtout des positions initiales du mouvement contre la vaccination obligatoire des camionneurs et l'exigence de passeports vaccinaux. Il y voit des embûches par rapport à la bonne marche de l'industrie du camionnage.

De plus, face à la vaccination, certains camionneurs comme Frédéric Bisson apportent des nuances : « Ils ne sont pas tant contre le vaccin. Leur gros problème, c’est le passeport vaccinal. Ils voient ça comme le début d’un contrôle qui va rester dans la population », affirmait-il vendredi à l’émission matinale montréalaise Tout un matin sur les ondes d’ICI Première.

Il est aussi bon de rappeler que l’Alliance canadienne du camionnage a publié le 22 janvier un communiqué dans lequel elle se dissocie du « convoi de la liberté », tout en réitérant sa volonté de se plier aux normes sanitaires d’Ottawa en matière de vaccination; elle y précise qu'il s'agit d'une industrie dont la majorité des membres sont vaccinés contre la COVID-19.

Bernard Rambo Gauthier

Les décrypteurs