Ratés de l'éducation : on a oublié l'effort !

LE SOLEIL - POINT DE VUE
Le mercredi 20 février 2008
Jules Bélanger, O. Q.
Gaspé

Ratés de l'éducation : on a oublié l'effort !

On parle beaucoup, et avec raison, des ratés de notre école, particulièrement dans l'enseignement de la langue française. Aux examens du ministère de l'Éducation, 50% des élèves de cinquième secondaire échouent au volet orthographe. 50% font plus de 14 fautes dans un texte de 500 mots, et ce, même s'ils ont droit au dictionnaire et à la grammaire. Enfin, on commence à s'en émouvoir et on cherche les causes de la catastrophe. L'alarme sonne, plus fort que jamais.

On accuse tantôt le jargon savant ou l'incohérence des programmes, tantôt la déficience des approches pédagogiques ou le nombre restreint des professeurs et la préparation inadéquate de certains d'entre eux; il y a aussi, au banc des accusés, la vétusté des équipements scolaires, l'anémie des budgets et quoi encore.

Bien sûr, on peut souhaiter l'amélioration sous tous ces chapitres de l'organisation de l'école québécoise mais on ne parle pas ou si peu d'une cause pourtant majeure parmi plusieurs autres de cette dégradation déplorable. On ignore cette cause et on cherche partout ailleurs. On oublie que, pour la très grande majorité des élèves, l'apprentissage se fait au prix d'un effort répété, patient et fatigant. On oublie qu'il faut apprendre aux enfants cette loi de la vie. Les enfants sont capables d'efforts intellectuels. Et ces efforts sont porteurs de bonheur. Notre école doit les exiger raisonnablement et elle ne le fait que timidement. Un trop grand nombre de nos élèves sont privés de leur droit à l'apprentissage de l'exigence et de la rigueur.

Dorer la pilule, une obsession

Depuis quelques décennies, notre société a rêvé et rêve encore d'une école du bonheur. Séduite par la découverte pédagogique de l'Écossais A.S. Neill avec son école du bonheur de Summerhill, on s'est mis à rêver de l'apprentissage facile, du remplacement du studieux effort intellectuel par de nouvelles et magiques techniques pédagogiques. Rêve issu d'un noble sentiment mais responsable d'un lourd dommage : en voulant trop faciliter la vie de l'élève, on compromet son avenir et celui de la société.

Pourtant, il y a là une évidence solidement appuyée sur l'expérience universelle depuis la nuit des temps. Tout le monde sait que pour apprendre à écrire il faut écrire et écrire souvent. C'est en forgeant qu'on devient forgeron. Or, dans l'école québécoise, il est tristement possible de réussir son secondaire deux ou trois en ne devant rédiger soi-même que deux ou trois textes dans toute l'année. La ministre de l'Éducation vient d'annoncer la fin de cette aberrante irresponsabilité sociale. Si elle gagne son pari, ce qui ne sera pas facile, mille fois bravo à l'avance !

Cette tendance à dorer la pilule est lourde. Pensons à toutes les raisons invoquées pour gruger dans le calendrier scolaire, dans l'horaire journalier, dans le temps laissé à l'élève pour l'effort personnel. Les devoirs à la maison ont perdu leur traditionnelle réputation d'évidente nécessité. Des parents s'y opposent. Le temps manque à leurs enfants, leur horaire étant accaparé par ceux du hockey, de la natation, du patin artistique, du ballet, des jeux vidéo, ou de la télévision…

Se sortir du cercle vicieux

Les défenseurs de notre école actuelle allègueront qu'elle produit cependant de belles têtes. Évidemment et heureusement! Une partie de la clientèle scolaire découvre malgré tout la nécessité et la gratification de la vie studieuse. Personne ne s'inquiète de ces réussites. On les applaudit. L'inquiétant, c'est qu'il n'y en a pas assez. Le taux de décrochage est désastreux. Il est en croissance et il a largement contribué au déclenchement de l'alarme actuelle.

Cercle vicieux, comment en sortir Les conséquences de ce laisser-aller dans l'école se manifestent partout. Un certain nombre de ses victimes se destinent à l'enseignement. Or, à l'Université Laval, par exemple, 33% des étudiants en enseignement primaire et secondaire n'obtiennent pas la note de passage de 60% à l'examen de français qu'on fait passer à l'arrivée dans ce programme. C'est alors le cercle vicieux !

Notre école a un urgent besoin de ses meilleurs produits. Quand donc viendra le jour où un nombre plus rassurant, et plus normal, de nos meilleurs finissants de cégep opteront pour la carrière d'enseignant au primaire et au secondaire? Il faudra d'abord que notre société valorise cette profession comme il se doit, après avoir enfin compris que la formation intellectuelle de notre jeunesse importe au moins autant que la construction de nos ponts ou le soin de nos ventres.

Et si, la tête enfin hors du sable, notre société se rendait vraiment compte du misérable pourcentage de nos meilleurs finissants de cégep qui s'inscrivent dans nos facultés d'éducation…?

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