Djemila Benhabib. Ecrivaine et journaliste

Je revendique un ordre humain sans dogme et sans tutelle

| © D. R.

L’Algéro-Québécoise Djemila Benhabib était à Paris pour le Maghreb des livres les 8 et 9 février. L’auteure controversée de Ma vie à contre Coran (édition Koukou, Alger), et de Les soldats d’Allah à l’assaut de l’Occident (VLB éditions 2011), a participé à une brève intervention, avant de participer à une soirée de soutien à son action pour la laïcité, le 13 février.

-Est-ce facile aujourd’hui, dans un Québec ouvert au monde, d’engager le combat pour la laïcité alors que les musulmans se plaignent d’actes islamophobes ?

Vous savez, les musulmans ne se plaignent pas tous d’actes antimusulmans qui sont, pour dire vrai, des actes isolés et marginaux au Québec. Un certain nombre d’entre eux sont heureux d’y vivre. Je pense notamment aux femmes maghrébines qui peuvent jouir d’une réelle autonomie grâce à l’exercice de l’égalité qui reste difficile, voire impossible, dans certains cas, dans plusieurs pays musulmans. Beaucoup, par ailleurs, comprennent parfaitement bien la nécessité et l’urgence d’un débat sociétal pour parachever les acquis de la Révolution tranquille, initiée au Québec dans les années 1960, qui a posé les jalons de la séparation du pouvoir politique du religieux. Nous retrouvons dans ce combat nombre d’Algériennes et d’Algériens, mais pas seulement, qui connaissent parfaitement bien les dérives de l’islam politique et qui les dénoncent haut et fort avec courage et talent.

-Vous êtes poursuivie par un établissement scolaire musulman au Québec. Pourquoi cristallisez-vous tant de ressentiments ?

Pour moi, l’éducation est aussi une autre source de très forte inquiétude. Dans certaines écoles musulmanes subventionnées par des fonds publics, les petites filles portent le voile islamique alors qu’elles n’ont que 7 ou 8 ans, les enseignantes sont voilées, les récitations coraniques porteuses de haine et de violence quotidiennes et les prières font partie intégrante du corpus scolaire. Je vois là l’expression d’un islam encore plus rigoriste qu’il n’en existe au Maghreb qui fait son chemin au nom de cette supposée tolérance et respect de la diversité.

Jamais, je n’ai vu autant de mosquées et de centres soi-disant culturels qu’ils payent rubis sur l’ongle se répandre à l’échelle de l’ensemble du Québec et du Canada. Je ne vous parle pas seulement des grandes villes comme Montréal, Québec, Sherbrooke, Gatineau ou Trois-Rivières mais on compte ce type de centres imposants y compris dans des localités modestes de moins de 40 000 habitants. Comme à Aylmer en Outaouais, par exemple, où la présence musulmane est insignifiante, l’acquisition immobilière d’une bâtisse transformée en mosquée s’est chiffrée à plus d’un million de dollars.

Cette opulence financière contraste avec le portrait d’une communauté musulmane «discriminée» et «désargentée» que certains spécialistes de la «victimisation» et de l’«islamophobie» dressent ça et là. Une chose est sûre, leur analyse ne résiste pas aux faits. Les islamistes, où qu’ils soient, n’acceptent pas la pluralité et font tout pour faire taire leurs adversaires, infiltrer les partis politiques, les syndicats et les organisations de la société civile, se poser en interlocuteur privilégié face aux différentes instances décisionnelles, et ce, en disposant d’une manne financière incroyable.

Leur stratégie est claire : prendre totalement en charge les besoins sociaux de nos concitoyens, les enfermer dans une prétendue identité musulmane fantasmée pour les couper de la société d’accueil. Qui, sinon moi qui ai vécu et subi l’islam politique pour dénoncer ses stratégies liberticides ? Qui, sinon moi qui connais parfaitement bien sa rhétorique et ses méthodes antidémocratiques pour démasquer son idéologie totalitaire ? Cette prétendue identité musulmane, je n’en ai que faire. Je revendique un ordre humain sans dogme et sans tutelle. Et rien ni personne ne m’empêchera d’aller jusqu’au bout de ma quête.

-Le Québec était réputé pour son ouverture à la différence. Aujourd’hui, un projet de charte du gouvernement du Québec est discuté concernant la laïcité. En tant que militante du Parti québécois, vous appuyez cette démarche, pourquoi ?

Le Québec n’est pas seulement réputé pour son ouverture, il en est un modèle. Cela ne signifie pas que nous n’avons pas de défi. Il en est un, en effet. Celui d’offrir un emploi décent à chaque immigrant en fonction de ses compétences. De tout temps, le Québec a accueilli des gens venus d’ailleurs qui ont su s’intégrer à sa majorité historique francophone pour l’enrichir. C’est notamment le cas avec les Maghrébins qui constituent, avec les Haïtiens et les Chinois, les principaux bassins d’immigration. Par année, le Québec reçoit entre 50 000 et 55 000 immigrants.

Entre 2007 et 2011, plus de 20 000 Algériens et plus de 21 000 Marocains s’y sont ajoutés. C’est énorme pour une population de 8 millions d’habitants. Ce métissage, bien que potentiellement enrichissant, met en lumière les conditions du vivre-ensemble. Cette question se pose à tous les peuples. Comment vivre ensemble dans l’harmonie dans une société pluraliste et multiethnique ? Je considère que la laïcité permet l’émancipation citoyenne, garantit la cohésion sociale et assure la pérennité de nos institutions publiques. Les dieux n’ont rien à faire dans la cité. C’est pourquoi je défends ce projet de charte. Cette charte permet de formaliser le caractère laïque de l’Etat québécois qui n’est inscrit dans aucun texte de loi, réaffirme la neutralité de ses institutions, impose des exigences aux représentants de l’Etat et clarifie les bases sur lesquelles les accommodements religieux doivent s’effectuer. Je suis convaincue de sa pertinence et de sa nécessité.

-Vous êtes soutenue en France par des associations. Et d’Algérie, des soutiens vous parviennent-ils ?

L’Algérie continuera d’occuper une place très importante dans ma vie, j’y compte de très nombreux amis qui sont pour moi une source d’inspiration infinie. Je suis frappée par cette envie de liberté, de révolte qui sommeille en notre jeunesse que j’ai eu à mesurer lors de différentes rencontres pour présenter mes livres, notamment à Béjaïa, Tizi Ouzou, Alger, Oran pour ne citer que ces villes. J’ai le soutien inconditionnel de mon éditeur Arezki Aït Larbi qui dirige les éditions Koukou, nombre d’écrivains, d’intellectuels et de militants politiques, dont le plus célèbre est certainement Boualem Sansal qui a fait parvenir à mon comité de soutien à Paris une lettre que j’ai eu l’immense bonheur de lire. Je dis à tous ces résistants merci !

Bio express :

Djemila Benhabib est née en 1972, en Ukraine, d’une mère chypriote grecque et d’un père algérien, et a grandi à Oran dans une famille de scientifiques engagés dans les luttes politiques et sociales. Elle déménage au Québec en 1997 pour poursuivre ses études, puis devient fonctionnaire au gouvernement fédéral. En juillet 2012, elle se présente comme candidate péquiste dans la circonscription de Trois-Rivières pour l’élection générale québécoise de 2012. Elle est défaite par la candidate libérale Danielle St-Amand . En octobre 2012, elle reçoit le Prix international de la laïcité remis par le Comité Laïcité République.

Source : El Watan